Les souterrains annulaires de la Montagne Bourbonnaise

En préambule, ce bel extrait d'E Clavier et L Montrobert:
Le silence. Sous le sol des campagnes, creusés avec une technique sans défaut, les souterrains annulaires sortent ici et là de l’oubli. Formés de galeries dessinant un ou plusieurs anneaux, ils posent de sérieux problèmes d’interprétation. Leurs formes caractéristiques et leur présence dans l’est de l’Europe et dans le Centre de la France, en font un phénomène singulier dans l’histoire rurale de l’Occident médiéval. Ils constituent l’un de ces “silences du Moyen Âge” dont parle Jacques Le Goff, et que nous avons décidé, tant bien que mal, de percer.

Leur nombre: Il existerait 34 souterrains annulaires en Montagne Bourbonnaise (dont 14 pour la seule commune d'Arfeuilles) plus une quinzaine d'autres probables (dont l'existence est mentionnée dans un ou plusieurs témoignages, mais qui n'ont pas été explorés).

L'étude de ces souterrains (souvent découverts accidentellement, travaux de constructions, labours), s'étale sur les 130 dernières années. Elle est l'œuvre principalement de quelques passionnés: le docteur Noëlas (en 1875) qui explore le souterrain de Terrenoire, Francis Pérot (en 1884) qui explore les souterrains d'Arfeuilles, le docteur de Brinon qui en 1924, explore les galeries de Puyravel et du Cluzel, le docteur Chabrol qui visite et publie une enquête scientifique sur ces souterrains en 1929, puis Maurice Franc et Olivier Giron, tous deux membres de la SFES (Société Française d'Étude des Souterrains) qui explorent plusieurs souterrains de la Montagne Bourbonnaise entre 1984 et 1988.

Et d'abord, quelle en est la définition?
Un souterrain annulaire se  caractérise par la présence d'une galerie dont le tracé décrit un ou plusieurs anneaux.

Il satisfait aussi à 3 critères:
- avoir été creusé par la main de l'homme (ce qui exclut tous les puits, cavernes, grottes façonnés par la nature)

Illustration de l'article : Le mystère des souterrains bourbonnais

- ne pas avoir un usage certain, d'ordre économique (silo, cave, mine), militaire (communications, les souterrains annulaires n'ayant qu'un débouché sur l'extérieur, servant d'entrée et de sortie) ou social (refuge pour les habitants)
- présenter des similitudes, soit dans son plan (une entrée, une galerie rectiligne, puis coudée, une sorte de chapelle) soit dans sa réalisation (creusement dans des matières friables, le "gore" de chez nous, à l'aide d'un outil gallo-romain, sorte de petite hache, l'ascia").
Leur implantation dans notre Montagne Bourbonnaise est actuellement d'une vingtaine sur Arfeuilles, 5 sur Le Breuil, 3 sur la Chapelle, 2 sur Laprugne, le Mayet de Montagne et Nizerolles, 1 sur La Chabanne, Isserpent, Molles et Saint-Nicolas des Biefs. Cette liste n'est pas exhaustive: comme la plupart de ces souterrains oubliés ont été redécouverts fortuitement lors de travaux de creusement, il en existe sûrement d'autres et rien ne vous interdit de creuser dans votre jardin….

Voici quelques dessins réalisés par les chercheurs nommés ci-dessus sur quelques souterrains typiques de notre région:

Anneau Birat (commune de Châtel Montagne) découvert en 1952, suite à l'effondrement de la voûte lors du passage d'une vache.

Allée rectiligne de 13 m , demi-cercle de 18 m , 1m65 de haut, restes d'un muret de pierres sèches vers le fond

Chez Frobert (commune de Châtel Montagne) découvert sous un bâtiment. La partie rectiligne mesure environ 8m, l'anneau 13m50, les 2 extrémités, remblais et effondrement) n'ont pas été explorées.. Ont été trouvés quelques tessons de poterie et un liard de 1694

Anneau de Guérande (commune d'Arfeuilles)  découvert en 1958, lors d'un labour. La véritable entrée était toujours murée. Les tessons retrouvés datent du Vème au IXème siècle. Allée rectiligne de 15 m débouchant sur une salle (la chapelle?) avec 2 pierres d'autel de chaque côté)

Anneau de Puyravel (Mayet de Montagne) découvert lors de labours en 1928. galerie de 16 m de circonférence. Restes de poteries, galet gravé et outil en pierre de l'époque préhistorique*

Chez Néglot (commune du Breuil) exploré dès 1875 par Noëlas, comblé en grande partie. Anneau de 12 m menant à une "chapelle" avec conduit extérieur, escalier d'accès monumental, mais accès fermé par d'énormes blocs de granit

 Néglot (suite)
Ces blocs de granit, extraits d'une carrière distante de 8 km , verrouillaient l'entrée (similitude avec les différents murets des autres souterrains qui interdisaient l'accès)

De quand datent-ils?

Grâce aux procédés tels que la datation au carbone 14 ou la thermoluminescence, les tessons et fragments de poterie trouvés sur place datent du Haut Moyen Age, en gros de 400 (fin de la civilisation gallo-romaine) à 800 (empire de Charlemagne).

* Les restes trouvés à Puyravel sont beaucoup plus anciens, mais la proximité de Glozel peut laisser supposer que ces fragments font partie d'une couche "glozélienne" rencontrée fortuitement par les constructeurs du souterrain lors du creusement.

Les similitudes

  • Tous les souterrains de la Montagne bourbonnaise sont de longueur modeste (entre 20 et 40 m ).

  • Ils sont tous situés à une faible profondeur (entre 1m50 et 5m) et creusés dans du schiste ou du "gore" (arène granitique en décomposition), des matériaux qui excluent le creusement de vastes salles ou de larges couloirs.

  • La plupart suivent le schéma de la lettre grecque Φ "phi" avec un vestibule d'entrée, se prolongeant plus ou moins dans l'axe par une galerie, coupant en deux endroits une structure en anneau.

l'escalier monumental  menant au souterrain "chez Néglot"

  • On accède à ces souterrains par un dénivelé et une entrée non cachée parfois même par un escalier monumental (comme chez Néglot), ce qui exclut toute hypothèse de cache ou de refuge.
  • La plupart semblent avoir été creusés au Haut Moyen Age, à l'aide d'une ascia sorte de hache à tout faire que les gallo-romains utilisaient pour tailler le bois ou creuser dans la pierre tendre.
  • Beaucoup étaient murés à l'entrée (chez Guérande) ou dans la galerie, ce qui tendrait à renforcer l'hypothèse d'un lieu sanctuarisé.
  • L'extrémité de la galerie ou de la "chapelle" possède souvent des alcôves ou des niches.
  • On trouve souvent, au bout de ces galeries, des conduits verticaux de faible diamètre (parfois inachevés) et communiquant avec l'extérieur.

l'entrée murée de "chez Guérande"

A quoi servaient-ils?

Leur structure et leur taille écartant toute utilisation d'ordre économique, sécuritaire ou de communication, l'hypothèse d'un lieu de culte semblant peu probable (du fait de l'exiguité des galeries et salles et de la proximité de certains souterrains, la commune d'Arfeuilles, par exemple en possédant un tous les 300 mètres !) celle d'un lieu de sanctuaire semble s'imposer.
Ces souterrains pourraient être des sortes de tombeaux où les habitants du Haut Moyen-Age déposaient les restes calcinés de leurs défunts dans des urnes funéraires.

La crémation était en effet interdite par la religion chrétienne qui s'était implantée d'abord dans les villes et qui préconisait l'inhumation tout en condamnant l'incinération, héritage du paganisme.
Ce rite païen était encore sûrement pratiqué dans les campagnes (d'ailleurs païen et paysan ont la même origine latine) dans des lieux peu urbanisés comme notre Montagne Bourbonnaise.

ascia gravée sur le socle

L'ascia qui servit à creuser les souterrains, avait aussi une valeur symbolique, puisqu'elle était souvent gravée sur les pierres tombales gallo-romaines, étant censée protéger et assurer l'inviolabilité dudit tombeau.

Mais cette hypothèse, si tentante soit-elle, n'est pas confirmée par des éléments matériels ( ossements calcinés, statuettes, sculpture ou peinture sur les parois).

D'autres pistes restent à explorer.

Il pourrait y avoir un rapport (mais lequel?) avec les communautés paysannes, fréquentes dans notre région.

Ce pourrait être aussi d'antiques sanctuaires en rapport avec le culte des morts, ce qui pourrait expliquer la présence de ces conduits d'aération plus ou moins achevés. Dans ce cas, ceux-ci seraient une sorte de passage reliant le monde des morts (souterrain) à celui des vivants (sur la terre).
Face à la progression inéluctable de la religion chrétienne durant le haut moyen âge, ce type de sanctuaire aurait disparu.
Il aurait survécu sous une autre forme plus "chrétienne" celle-là, la lanterne des morts.


La lanterne des morts est un édifice maçonné, de forme variable, souvent élancé généralement creux et surmonté d'un pavillon ajouré, dans lequel au crépuscule, on hissait, souvent avec un système de poulies, une lampe allumée, supposée servir de guide aux défunts.

Lanterne des morts d'Estivareilles

Quoi qu'il en soit, les souterrains annulaires de la Montagne Bourbonnaise sont loin d'avoir livré
 tous leurs secrets.

Entrée du souterrain chez Frobert

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