Le souterrain annulaire de Terrenoire

Il existerait sous le hameau de Terrenoire un souterrain annulaire découvert par hasard aux alentours de 1855, lors du creusement des fondations d'une grange, puis rebouché. Le docteur Noëlas, féru d'histoire locale, le fit rouvrir et l'explora en 1875. Voici le récit qu'il en publia dans l'hebdomadaire "le Forez illustré" cette même année.

"Le Forez illustré"du 1er et du 8  août 1875

Notice sur le souterrain-refuge de Terre-Noire (commune de La Prugne Allier )
par le docteur Frédéric Noëlas

La région montagneuse qui forme entre la chaîne de la Madeleine et celle du Montoncel le canton le plus méridional du département de l'Allier offre à l'archéologie des sujets d'étude qui touchent au plus haut point de la science: roches à bassins et à empreintes, châtelards, voies primitives, souterrains refuges, villes et industries gauloises, murs gaulois, pour ne parler que de ce qui nous est le plus à cœur….

Le bourg de la Prugne, situé heureusement sur les flancs de la vallée de la Besbre, est le centre de toutes ces choses….. Cependant nous ne parlerons aujourd'hui que d'une seule chose: ce sera le procès verbal de l'exploration de ce qu'on appelle un souterrain refuge.

En dehors du bassin et des travaux de concession des mines de cuivre de la Prugne, sur les premières croupes des hauteurs qui s'élèvent brusquement jusqu'à près de treize cents mètres au sommet de la Madeleine, un hameau, celui de Terre-Noire, étage ses maisons à quelque distance du profond ravin où coule le ruisseau de la Coste.

Il y a vingt ans des propriétaires, voulant y bâtir une grange, creusèrent des fondations et furent on ne peut plus surpris de sentir le sol peu solide dans un endroit rocheux; ils creusèrent par curiosité et découvrirent un souterrain, où ils pénétrèrent assez imprudemment et sans ordres, surtout sans intention de s'en rendre compte par l'étude; ils n'y trouvèrent, dit-on que des morceaux d'une poterie grossière. La découverte fit grand bruit, nombre de visiteurs accoururent, mais tous inexpérimentés; puis on referma la cavité tant et si bien qu'il a fallu deux demi-journées pour la retrouver.

Cependant, on avait un point de départ; il avait fallu, lors de la construction de la grange, reculer les fondations, on chercha donc dernièrement et, au fond d'une tranchée d'environ un mètre cinquante centimètres de profondeur, on rencontra une entrée du souterrain, la même que celle découverte il y a vingt années. L'ami qui nous préparait si galamment la besogne pénétra dans la cavité par une ouverture assez étroite, reconnut les lieux puis referma soigneusement avec de grosse pierres l'entrée du roc, crainte d'accident.

Enfin, le 11 juillet dernier, nous nous rendîmes vers le souterrain avec une certaine solennité: un orage majestueux nous surprit en route…..deux petits murs formaient l'entrée de la grotte; leur distance réciproque était d'environ un mètre, ils reposaient sur la roche vive et une pente assez douce conduisait à une ouverture si étroite que les épaules d'un homme avaient peine à y passer; mais au bout de quelques pas faits et en se laissant glisser les pieds en avant, le souterrain se révèle à la hauteur d'un homme de petite taille.

Voici l'aspect de la galerie: elle est creusé dans une roche de porphyre quartziféré très fendillée et cassante, commune dans le pays et coupée de filons d'un granit grenu décomposé nommé gore, au-dessous d'une terre labourée qui porte le nom de la mure (masure); sa direction générale est du S-E au N-E; sa voûte de forme pointue très irrégulièrement ogivale n'est nulle part soutenue par une maçonnerie quelconque; elle ne paraissait pas solide, la pierre s'égrenait laissant passer de grosses gouttes d'eau de pluie et à chaque roulement de tonnerre que l'oreille ne percevait pas au reste dans les profondeurs, de petites rocailles se détachaient comme au moindre frottement; la largeur du boyau souterrain est d'environ 0.70 à 0.80 m ; nous étions trois explorateurs et le travailleur avait peine à se servir de sa pioche.

Une première galerie, pendant cinq ou six mètres, serpente fortement et brusquement, puis elle envoie à gauche et à droite deux branches de manière à circonscrire une masse de roche en forme de colossal pilier arrondi; on observe que la branche de gauche continue presque droit la première galerie avec la même hauteur de voûte et la même largeur; la branche de droite se dévie fortement de ce côté et son plafond est plus bas d'au moins 30 à 35 cm ; des flaques d'eau jaunâtre

 s'étaient amassées sur le sol, mais aucune fosse, aucun puits ne s'ouvraient dans les galeries au point de rencontre des deux branches; dans la paroi de gauche est creusée une case ou niche dans une partie granuleuse de la roche à hauteur de l'épaule, cette case large de 15 cm a le sommet pointu; on voit très distinctement les nombreux coups d'un outil pointu comme un pic qui a creusé la pierre tendre (ailleurs la pierre fendillée ne montre pas ces traces).
Nul vestige de rouille ou d'oxyde de cuivre pour indiquer la matière de l'outil, mais vu la difficulté de manœuvrer, même un marteau de mineur, à cause de la voûte, on voit que l'outil était emmanché si court qu'il devait être vraisemblablement tenu à la main comme un couteau….. nulle marque de fuliginosité ou de suie de lampe dans cette case ni aux voûtes; ces deux galeries réunies sans chambre élargie, sans issues autres, après un mètre de parcours, rencontrent un muretin de grosses pierres haut de 50 cm disposé transversalement, il est maçonné avec de l'argile jaune comme ceux de l'entrée, et forme un petit ponceau sous lequel fuit un filet d'eau par une pente assez rapide; au-delà et au bout de 6 mètres , presque en ligne droite, un fort éboulement barre le passage et sur le sol extérieur on remarque, à cet endroit, une dépression sensible.

L'eau s'écoulant ainsi n'avait pu s'accumuler en trop grande quantité, mais elle gênait nos recherches, la pioche ne ramenant que des pierrailles sans forme, point de poterie ni d'outils; de la paille pourrie et noire et dans la galerie de gauche de la paille brûlée et charbonnée provenant sans doute des brandes de paille dont on s'était servi au risque de s'enfumer lors de l'exploration d'il y a 20 ans; un bout de plateau ou d'épaisses planches de chêne mises là sans doute pour appuyer sur les pierres et ne pas se mouiller les pieds, tout annonce une visite timide et hâtive.
Le bois du plateau est pourri, mou et malgré qu'il soit infiltré d'eau, il a perdu énormément de son poids. L'air avait pénétré dans le souterrain et si la première fois il était méphitique et éteignait les lumières, lors de notre examen il s'était renouvelé.
Mais comme contraste avec ce bois, nous avons recueilli dans le terrain et sous les éboulis de la galerie de droite un long bâton brut et noueux dont une branche cassée au bout forme un crochet, vrai bâton de sauvage, d’homme primitif (nous savons qu’on a trouvé semblable objet dans des souterrains analogues). Il était difficile de savoir au moment de la trouvaille de quel bois était ce bâton, on eût dit un morceau d’érable à l’écorce rude (bois très rare dans la montagne) et tout à fait comparable à des bois qui ont séjourné des siècles dans les tourbières ; celui-là, au lieu d’avoir perdu de son poids, en avait acquis considérablement, il pesait de cinq à sept cent grammes, infiltré d’eau mais aussi de matières siliceuses…..

  On est convenu de nommer ce genre de grottes creusées de main d’homme souterrains de refuges, mais la science n’a pas dit son dernier mot sur leur mystérieuse destination.
Dès lors qu’ils ne sont pas construits de maçonnerie, il y a grande présomption d’antiquité, aucun château féodal n’y ayant laissé vestige et souvenir, mais on ne peut raisonner sur leur destination que par analogie et apporter dans leur recherche un grand esprit critique ; dans les uns, on trouve des restes évidents de l’homme préhistorique, hachettes de pierre, auges à broyer le grain ou le millet, comme dans la Creuse, le souterrain-refuge de Sanglard……

Dans les autres on a trouvé de la poterie romaine ; les uns sont pourvus de puits ou fosses de défense, de conduits d’air ou soupiraux, présentent des cachettes, des grès à aiguiser, des réservoirs d’eau et des cavités circulaires, véritables silos que l’on cachait à l’ennemi; d’autres enfin offrent, taillés dans le bloc, des ouvertures avec des feuillures pour les portes, des bancs, des retraites et des salles spacieuses, de sorte qu’on a pu dire que c’était des habitations permanentes aussi bien que des refuges temporaires, même des caveaux ou des greniers d’approvisionnement.

Ils ont pu être occupés et réoccupés à différentes époques de troubles et d’invasion et sont creusés suivant différents types.

Ils sont rarement isolés, souvent groupés dans le même endroit à proximité de fontaine ou de ruisseaux ; ceux de la contrée, assez nombreux, semblent appartenir tous aux mêmes types : une galerie étroite embrassant un énorme pilier, nous en connaissons un à Arfeuilles dont la forme est tréflée, c’est-à-dire qu’il a trois piliers entourés de galerie qui se rendent dans un boyau unique.
Tous ont été creusés de la même manière, avec les mêmes outils, dans la même roche. Nous faisons remarquer que la roche n’a pas partout un degré de solidité pareille, mais le temps, les mouvements de terrain ont dénaturé cette solidité.

Si le souterrain de Terre-Noire laisse maintenant filtrer les eaux pluviales, c’est qu’il était sans doute couvert de feuilles sèches et de fumier, comme le rapportent des auteurs anciens parlant de ces souterrains. Il faut se faire une idée de la vie au grand air de nos ancêtres chasseurs et pêcheurs ; ils n’étaient jamais chez eux, il suffisait que la nuit et au gros de l’hiver les femmes et les enfants fussent en sûreté, la commodité, l’élégance du logis, sa salubrité même étaient choses secondaires. Mais nous faisons nous même toutes réserves à ce sujet, nous bornant à affirmer l’antiquité de ces retraites si bien oubliées des hommes.

 L'ascia est un outil gallo-romain en forme de hache, une herminette, un outil à tailler le bois ou à polir la pierre, l'instrument à tout faire du maçon.
Cet outil gravé sur la pierre tombale était réputé lui conférer une protection en lui assurant l'inviolabilité.

Le peuple voit des communications fantastiques du souterrain Terre-noire avec les galeries du Châtelard  poste gaulois situé à deux kilomètres de distance ; nous laissons ces fables pour donner une liste des autres refuges de ce genre existant dans la montagne en ayant soin de mentionner les objets qu’on y a rencontrés.

Nous les distinguons des grottes naturelles ou artificielles creusées dans les rochers qui portent des traces évidentes de fortifications antiques ou d’habitation et dont la destination est moins douteuse.

Ce souterrain fut par la suite rebouché et disparut des mémoires.

Si la grange existe toujours, le souterrain n'évoquait plus aucun souvenir aux habitants du village, ni à l'ancien propriétaire de la grange, M Eugène Oblette.

Deux auteurs Francis Pérot (en 1884) et Adrien Blanchet (en 1927) signalent tous deux la présence d'
un second souterrain annulaire à Laprugne, au "Chatelard".

D'après Pérot: "La confection de la route de Laprugne à la Loge des Gardes a mis à découvert un souterrain dont on voit nettement la section et la forme au Chatelard. Les deux ouvertures qui se voyaient dans la tranchée de la route ont été maçonnées avant qu'il n'ait été exploré. Sa hauteur est de 1m30 et sa largeur 0m80."

Et d'après l'inventaire de Blanchet: "Le Chatelard: souterrain dont les 2 parties découvertes ont été murées. Hauteur: 1m20; largeur: 0m70; voûte cintrée en anse de panier"

Pour en savoir plus sur les souterrains annulaires (leur situation, leur forme, leur âge, leur usage) lire l'article sur les souterrains annulaires en Montagne Bourbonnaise.

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