1790: lettre du curé Thoulouse:
La déclaration des biens du clergé sur la paroisse de La Prugne

Le 2 novembre 1789, l'Assemblée Nationale adopte la décision de confisquer les biens du clergé afin de les revendre aux riches propriétaires, et ce pour renflouer les caisses de l'état, les impôts ne rentrant plus.
Les administrateurs des départements envoient donc dans chaque paroisse une demande d'inventaire, chaque prêtre étant tenu de déclarer précisément tous les biens possédés par le clergé (bois, terres cultivées, fermes et montant de la dîme) et d'en chiffrer le montant.
C'est Pierre Henry Thoulouze, (connu aussi sous le nom de Toulouze du Villiers) curé et maire de La Prugne, qui en fera la déclaration au nom de la municipalité

Tous les détails et renseignements demandés par Ms les administrateurs du département de l'Allier relativement aux biens ecclésiastiques situés dans le ressort de notre municipalité et détaillés en quatre chefs. 
1° Le curé de La Prugne s'appelle Pierre Henry Thoulouze âgé de 52 ans accomplis. Le vicaire que porte la cure se nomme Genêt Foucher qui court sa vingt-huitième année. Le curé à raison d'infirmité paye lui-même un second vicaire nommé Jean Setier dont l'âge est de trente ans.
Tous les fonds du bénéfice consistent dans un jardin, et autour d'icelui environ cinq quartonnées de terres, mesure de Cusset, dont une partie est en friche à cause des rochers qui l'occupent. Le bénéfice n'en jouit qu'à titre de fondation. 2° Le bail à ferme de l'abbaye de Cusset où est comprise la dîme à la onzième gerbe, exceptée dans un petit tènement où elle n'est qu'à la vingtième, où sont aussi compris des fonds à elle dus, excepté dans deux petits villages où elle a la dîme sans le cens. 

Le même bail comprend encore un pré d'environ quatre chars de foin à la Manière, d'un pays difficile; lequel pré dans les chutes d'eau est sujet à des dommages et à des réparations, et est d'un autre entretien coûteux pour la clôture: de plus un mauvais marais d'environ cinq cartonnées donné à un particulier à nouveau cens. .Le prix de la ferme et de tous les objets ci-dessus est, comme il coûte par le bail, de 2 700 livres.

Ladite abbaye possède en outre deux portions de bois adhérentes l'une à l'autre: l'une a 634 arpents 77 perches d'espace, l'autre 912 arpents 53 perches, le tout mesure de Paris. La Maîtrise des Eaux et Forêts de Montbrison s'est emparée depuis plus de vingt ans du meilleur canton qui a fort peu d'étendue. La dernière rente d'un autre petit morceau est de 1200 livres. Le surplus n'offre aucun bois de travail ou de construction, la nature du bois est le hêtre. Le terrain étant de fort courts espaces est propre à produire. Le reste n'est peuplé que de distance en distance. Le nombre immense de rochers et de marais qu'ils renferment y fait de fréquentes lacunes et les rend de mince valeur. Il est à observer que plusieurs gros villages de notre municipalité y ont un droit de pacage…..une ressource qui leur est absolument nécessaire pour la nature de leurs bestiaux. La municipalité ne sait pas capable de faire une estimation des bois ci-dessus. L'étendue est immense, l'état actuel des bois très mauvais…..les marais et rochers y inclus font qu'on ne peut envisager cet objet en totalité. Elle pense que ce n'est qu'en vendant au détail qu'on parviendra à en faire l'estimation.

La cure d'Arcon, située au département de Rhône et Saône possède: - 1 une dîme à la douzième gerbe et des cens dans un canton de la municipalité. Le tout affermé suivant le bail 160 livres. –2 des bois attenants à ceux de l'abbaye dont l'étendue totale est de 257 arpents et 60 perches, mesure de Paris. Une très petite partie rapporte du sapin, le reste est en hêtre, les villages de la paroisse y ont le même droit de pâture. Il y a bien moins de marais, de rochers et de vides que dans ceux de l'abbaye, et comme on a vendu jusqu'ici à la marque, il est un peu en meilleur état dans certaines petites parties.. Le terrain y est plat, propre et de production. Il n'y a actuellement que peu de bois d'ouvrage, mais il y a de l'espérance pour l'avenir. La municipalité pense qu'à le vendre en gros, la valeur du total serait d'environ 10 000 livres.

Mr l'évêque de Grenoble, à raison du prieuré de Ceuillat, situé sur la paroisse de St Priest Laprugne département de Rhône et Saône, et annexé, dit-on, à son évêché jouit d'une petite dîme dans le ressort de la Municipalité qu'elle a cru, après des informations faites devoir estimer environ 80 livres.
Nous sommes très fraternellement,
Messieurs les Officiers Municipaux de La Prugne
Signé Thoulouze, curé maire …. Chambonnière, Burilier, Perret

Pour tous ceux qui ont été déconcertés par le style ou le vocabulaire de l'époque, voici quelques remarques que l'on peut faire à la lecture de cette lettre: 
- La dîme varie de la onzième ( 1 sur 11)à la vingtième gerbe (1 sur 20) selon les terrains. 
- Les mesures de surface (cartonnées, arpent perche…) étaient complexes et variaient d'un canton à l'autre: il était temps que l'Assemblée Nationale se penche sur la question et instaure des unités de mesure communes à toute la France. 
- Certains villages (hameaux) de la commune possédaient des droits de pacages et de ramassage du bois, droits d'usages qui se sont conservés sous forme de communaux ou de sectionnaux. 
- L'abbaye de Cusset possédait des bois sur la paroisse, et plus surprenant, la maîtrise des Eaux et Forêts de Montbrison, qui s'est accaparée des bois depuis une vingtaine d'années. 
- Les 2 principales essences d'arbres semblent être le sapin et le hêtre (hélas actuellement en voie de disparition) 
- La plupart du territoire semblait mal entretenu, sans doute surexploité, avec "des marais des rochers et des vides". 
- Une partie est en bien meilleur état: c'est celle que possédait la cure d'Arcon et qui correspond à la forêt de l'Assise. 
- Le tout pourrait être vendu 10 000 livres, ce qui faisait pour l'époque un patrimoine coquet.

Lexique: 
 · Dîme: Prélèvement sur les récoltes au profit de l'Église.
 · Cens: Redevance en argent payée annuellement au seigneur.
 · Arpent: Ancienne mesure agraire, dont la valeur variait entre 20 et 50 ares. 
 · Perche: Mesure agraire de superficie valant dix-huit, vingt ou vingt deux pieds, suivant les différents pays. Cent perches faisant toujours un arpent.
 · Cartonnée (ou quartonnée): mesure agraire de 6 à 8 ares, selon les cantons

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