Visites en 1870:  les mines de Charrier, l'église de Laprugne, Saint-Vincent et Montgilbert

Marguerite Rousset est née en 1856. Après avoir été notaire à Cusset, son père, sa mère et leurs 3 enfants s'installent au Mayet de Montagne.
Marguerite est placée en pension chez les sœurs à Cusset.  Elle écrit dans son journal, ses souvenirs de pension.

Les extraits ci-dessous sont écrits au Mayet en octobre 1870, la rentrée ayant été retardée à cause de la guerre entre français et prussiens .

Samedi 8 octobre 1870
C'est aujourd'hui le jour de la rentrée (10 octobre) mais je ne rentre pas cela est tout
à fait impossible La famille Berne de Paris est à la maison depuis Jeudi dernier ils ne partiront que Mercredi prochain.
Il y a deux petits garçons
et une jeune fille de dix sept ans et leur tante ; leur père est resté à Paris.
 Nous nous promenons beaucoup et nous employons notre temps le mieux
possible.
Vendredi nous sommes allés à la Salette. Samedi aux mines de Laprugne, l'année dernière je n'avais vu que la mine de manganèse cette année nous avons visité la mine de cuivre, il y a 2 puits et plusieurs galeries. Papa, mes cousins et mes frères sont descendus dans un des puits, ma
cousine n'a pu s'y décider, quant à moi j'étais indécise mais je l'appréhendais beaucoup et je ne suis pas descendue. Nous sommes revenus à huit heures et demie
.

En allant visiter l*Église il nous est arrivé une aventure si je puis le nommer ainsi, je ne veux pas la passer sous silence. Quand nous sommes entrés, le curé était dans son confessionnal à découvert sans porte ni rideau; nous nous sommes agenouillés pendant quelques minutes lorsque nous entendons Mr le curé* dire à haute voix en interrompant sa confession "Mais c'est une vraie partie de mascarade qui vient de rentrer dans notre église je viens de le dire à cette personne (il nous montra du doigt la femme qu'il confessait) avec vos coiffures plus ridicules qu'insensées c'est une véritable partie de mascarade".

Nous étions surpris de cette apostrophe, nous n'avons pas eu l'air d'y faire attention et nous sommes sortis aussi calmes que nous nous étions rentrés laissant Mr le Curé continuer son discours qu'il aurait sans doute prolongé longuement si nous étions restés.
En sortant maman était pâle, ma cousine rouge, mon cousin et moi nous
n'avons pu retenir un éclat de rire. Notre première pensée a été qu'il était peut-être un peu fou, nous avons demandé à plusieurs personnes s'il était habitué à faire cela on nous a répondu que oui, qu'il ne pouvait supporter les modes du jour. Dimanche dernier il a dit à ses paroissiens que c'étaient les chapeaux ridicules et les tailles unies qui avaient amené les Prussiens en France, nous n'avons donc plus été étonnés et cela nous amuse pendant le reste de la soirée. Nous parlions souvent de la mascarade de Laprugne.

Lundi 10 octobre 1870

Aujourd'hui 10 malgré l'incertitude du temps nous sommes partis à dix heures pour aller au rocher St Vincent. J'étais dans la voiture que conduisait mon cousin et pendant la durée de la route, il n'a cessé de nous amuser par toutes sortes de plaisanteries.
Nous avions apporté ce qui nous était nécessaire pour déjeuner, nous l'aurions fait dehors mais la pluie qui était tombée peu de temps auparavant rendait la terre trop humide, il a fallu bon gré
mal gré manger dans une cahute où les odeurs les plus nauséabondes s'exhalaient de tous les coins.

Quoiqu'il en soit notre déjeuner a été très gai. A une heure nous avons commencé notre ascension et il nous a fallu tout au plus un quart d'heure, nous sommes restés une demi-heure au sommet soit à regarder dans la lunette ou à graver nos noms sur les arbres et sur les pierres.
Quand nous sommes repartis il était trois heures la pluie nous a pris à Ferrières elle n'a pas cessé jusqu'au Mayet, au contraire elle augmentait à chaque instant heureusement que nous avions apporté des manteaux, des châles et des parapluies qui nous ont été d'une grande utilité.

Le vent s'était joint à la pluie, nous avions grand peine à retenir nos parapluies quand nous sommes arrivés, les gens sortaient sur le seuil de leur porte et riaient de nous voir trempés. Nous nous sommes empressés de faire du feu et de nous sécher.  
Cette partie nous a beaucoup plus amusés que s'il avait
fait un temps magnifique.

11 Octobre 1870

Aujourd'hui nous sommes allés visiter les ruines de Mont Gilbert c'est du reste ce qu'il y a de plus intéressant et c'est ce que mon cousin désirait le plus voir.
Nous y sommes allés à pied il n'y a pas possibilité d'y arriver en voiture; maman qui est très peu courageuse ne nous a pas accompagnés, c'est à la troisième fols que j'y vais mais jamais je n'avais fait une visite aussi complète. Nous sommes montés dans les tours mais en grimpant après les murs puisqu'il n'y a plus d'escaliers.

 Mes cousins et mes frères montaient avec facilité quant à nous jeunes filles, on était obligé de nous tirer avec des cannes et de nous donner la main. Nous avons vu dans l'embrasure d'une petite croisée des peintures grossières il est vrai, mais que nous avons regardées avec grand plaisir. Nous sommes descendus dans des espèces de souterrains, ce ne sont pas des oubliettes mais dans ce genre là, le jour n'arrive que par une croisée qui n'a pas 40 cm . de haut sur autant de large, cela se trouve dans les tours et c'est ce qu'il y a de mieux conservé, à Mont Gilbert.

Nous avons rapporté du château un hérisson. Nous avons lu sur le livre des légendes une chose très amusante à propos de Mont Gilbert.
Le
seigneur étant allé à Vichy y rencontra un moine très gros qui s'y rendait également. Le seigneur étonné de le voir se rendre aux eaux lui demanda s'il était malade» Le moine lui répondit que c'était précisément pour diminuer son embonpoint. Le seigneur de Montgilbert lui dit de venir dans son château et que dans quinze jours il se chargeait de le faire maigrir. Le moine consentit on l'enferma dans une chambre étroite n'ayant pour toute nourriture qu'un pain pendu au plafond et pour breuvage une cruche d*eau. Lorsque la faim le poussait trop fort, le moine était obligé de sauter pour atteindre un morceau du pain. Tous les jours on lui renouvelait sa provision. Quand il en eût passé quinze de cette manière son embonpoint s*était diminué, le seigneur de Montgilbert vint alors auprès de lui et dit : "Vous voyez bien que mon remède a été plus efficace que toutes les eaux de Vichy"
Le moine quitta le château et retourna dans son couvent.

NDLR *Il s'agit de l'abbé Querry, curé de Laprugne de 1844 à 1872, celui-là même qui contribua à la légende de l'Agneau de la Saint-Jean en guérissant les troupeaux en 1868.
Sa piété, son mysticisme, son fanatisme (selon certains) étaient tels qu'il n'hésitait pas à prier toute la nuit, couché devant le seuil des auberges, les jours de la fête de la Saint-Jean:

Témoignage du Dr Noëlas en 1878: "Devant ces portes, un homme est pourtant agenouillé, tête nue, en longs cheveux blancs, sur la pierre froide et dans la poussière, au soleil ou à la tempête, il est toujours là ! Le visage blême, l’œil larmoyant, Il étreint ses mains sur un crucifix et prie avec ferveur : dix heures durent les danses, dix heures le vieillard fait durer sa prière, à genoux, sans repos, sans nourriture. Les groupes vont et viennent, entrent et sortent, la rougeur au front, mais toujours la damnée musette ronfle et les verres se vident.

Voilà qui est Gaulois ! Voilà le Druide !
Il n'y a pas vingt ans que ce spectacle des anciens jours était donné par l'ancien pasteur..."

ou encore à tenter de supprimer la fête de la Saint-Jean: (Noëlas dixit)
"Alors le curé, prenant son courage et la statue de saint Jean, confisqua le saint et abolit la fête. Les bonnes femmes et les dévotes crièrent bien un peu ; les folâtres encore davantage ; on se plaignit bien que saint Jean était en prison.
"Lavez-vous la tête et les yeux à la fontaine.”répliqua le curé"

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