Les
légendes de Marie-Madeleine et de Marie des bois |
Comme les Bois Noirs, la Madeleine tapisse ses sommets de bruyères et ses pentes d'airelles, qui poussent dans les sapinières panachées de hêtraies. En un mot, c'est un pays rude, escarpé, de population disséminée, où, pendant l'hiver, la bise se déchaîne inter-minablement. Elle balaye la neige; et ses tourmentes glacées entassent par endroits des congères épaisses, bloquant pour de longs jours des hameaux et des fermes isolées. Jadis, les demeures étaient petites, mal éclairées, couvertes de chaume. |
Elles comprenaient l'étable et une pièce unique entourée de lits clos. Il n'y avait pas d'étage, mais un grenier où l'on entassait le foin. Aujourd'hui la chaumière agrandie, embellie, est devenue maison couverte de tuiles ou d'ardoises ; il y a des chambres au premier, des granges-étables dans la cour. L'aspect demeure sévère ; le confort est peu connu, mais on vit mieux. |
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Les
charmes de l'été y sont à l'échelle humaine, parmi des journées
suaves, sous un ciel très pur, où l'on peut s'étendre sur un tapis de
gazon parsemé de fleurettes et de gentianes hautes sur tiges. On n'a que
l'embarras du choix dans ce fouillis de coudriers, de hêtres et de
sapins, crevassé par les zébrures profondes des rivières ; et l'on peut
y rester des heures, plongé dans une rêverie heureuse. Puis quand les
ombres s'allongent, qu'on sent la fraîcheur, il faut à regret quitter
cette solitude pour rejoindre l'agitation des hommes. |
" Pense à ton âme, maudit, si tu en as une,"" dit la voix sépulcrale, dans un silence d'épouvante. Et l'on voit le misérable se lever, hagard, sans tourner la tête ni regarder ses hommes dégrisés. Comme un automate comme un aveugle conduit par l'invisible main du châtiment, il sort et trouve dans la cour d'honneur un étalon fougueux que maîtrise à grand'peine un écuyer aux yeux de braise et tout de noir vêtu. |
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Sans
mot dire et d un bond, le sire enfourche la monture qui piaffe et tous
deux se perdent à jamais dans la nuit infernale. Un cri d'angoisse, un
long ricanement du diable qui tient sa proie : tout est fini Tels étaient
les récits qui nous faisaient frémir, le soir, à la veillée. |
Des siècles ont passé. On ne voit plus sur la montagne ni saintes baignées d'azur, ni bel-les bergères habillées d'argent, ni fées, Urgèle ou Mélusine, emmenant avec un simple fil quelque beau sire dompté magiquement et transformé en agnelet. Mais quand revient l'été torride, des campeurs en grand nombre montent dans les bois de l'Assise chercher l'ombre et le frais. Ils n'accordent qu'un bref regard à l'oratoire croulant, se penchent un instant sur le puits de l'ermite, qui n'évoque rien pour eux et, sans éprouver la nostalgie d'un passé qu'ils ne |
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soupçonnent même plus, goûtent la saveur aigrelette des airelles, cueillent la fraise des bois exquise et parfumée, font une provision d'arnica et redescendent heureux d'une journée de grand air, sans avoir un instant songé aux géants, aux princesses captives, à ces beaux chevaliers qui délivraient leur dame prisonnière d'un manoir enchanté. |
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