JEHAN L'HERMITE     Le dernier prieur de la Madeleine

de Francis Pérot et Jehan des Molières (Moulins 1890)

Ce texte se présente sous l'aspect d'un récit en forme de boucles, récit qu'on pourrait raconter au cours d'une veillée. 
L'assassinat du prieur Jehan y est relaté 6 fois, mais chaque nouvelle boucle apporte des détails ou un éclairage particuliers sur les faits et gestes de ce prêtre, sur les  conditions de sa mort, sur la chapelle elle-même et les  édifices environnants.
Cette forme littéraire en boucles permet de maintenir l'attention de l'auditoire grâce à la répétition du même fait dramatique.

II n'est pas un rocher, un ruisseau, un sentier de la montagne des Bois Noirs de la Madeleine qui n'ait son histoire ou sa légende. Là haut, bien haut où l'airelle forme un tapis de verdure qui cache la roche abrupte, où la gentiane et l'arnica sont les derniers végétaux que l'on rencontre, la tradition est partout gravée en rudes caractères qui ne s'effacent point sur ces blocs de rochers aussi vieux que le monde ! Et si, dans la plaine, l'on ignore l'histoire du pays, si l'Allier emporte à l'Océan, avec ses eaux, les souvenirs du sol qu'elle arrose, à la montagne, au contraire, l'on garde religieusement ses convictions et sa foi, comme aussi l'histoire de la contrée. Et si ce n'est point le châtelain qui la conserve dans ses terriers (un terrier, c'est ici le plan du domaine) , à la loge du sabotier ou chez le vieux laboureur vous entendrez raconter le soir, à la veillée, à la lueur des chènevottes qui jettent un feu clair et pétillant, l'histoire de tous les hameaux de la montagne, et même celle de Mandrin qui, lors de son passage, y laissa de nombreux souvenirs.

Le point sur lequel a été construit le Prieuré, est incontestablement un centre connu dès la plus haute antiquité. Des vestiges de l'époque préhistorique s'y rencontrent - c'était aussi un point de centre qui servait de limites aux Arvernes, aux Ségusiaves, aux Aeduens, aux Ambluaretes - c'était un oppidum défendu par plusieurs Chatelards fortifiés, dont un, celui de Chatelux, montre encore ses fortifications vitrifiées, comme ceux de la Creuse. Non loin de l'oppidum, l'on rencontre les pierres dont le nom caractéristique rappelle leur origine celtique : les pierres plantées d'Arcon, la Pire longe, la roche Corbonnière, les Pierres des fées, etc.

Nous avons pu voir encore le chemin gaulois enfoncé dans le sol, au village Goyart, et qui se dirige vers l'oppidum, et la pierre à cinq trous qui vient d'être détruite, était une tombelle gauloise.

Quand, après avoir quitté La Prugne et passé devant le calvaire gigantesque qui précède un peu la maison des gardes, le point culminant de la Madeleine, l'on descend la pente du versant oriental pour traverser le marécage tourbeux qui le sépare d'un massif boisé derrière lequel est caché Saint-Nicolas-des-Biefs, l'on arrive au croisement d'un petit sentier - des ruines, des arrachis de murailles sont encore là gisants, et c'est à peine si l'on y peut reconnaître l'emplacement d'un petit Prieuré, de sa chapelle, qui appartenaient au chapitre de Notre-Dame d'Ainay de Lyon . Cette chapelle existait avant 1290, on a conservé un important document qui a pour titre -.Accord entre Jean Ier et l'abbesse de Cusset. Cussiaco 1290. Bull. d'Auvergne.

Un obituaire de Lyon, IXe siècle mentionne la chapelle de la Madeleine. Elle avait été érigée en Prieuré avec bénéfice régulier, et dans un pouillé du diocèse de Lyon du XVe siècle, nous la trouvons ainsi mentionnée : prioratus sanctae Mariae Magdalenae in sylua, unitus conventui athanatensi in archipresbyteratu de Pomyers. Elle appartint à l'abbaye d'Ainay jusqu'à la Révolution.

Frère Jehan l'Hermite, bien connu dans le Sapey (Les bois de sapins), fut le dernier prieur de la Madeleine. Au lendemain de la fête de la Toussaint, le jour des Morts, frère Jean l'Hermite fut trouvé assassiné.
C'était le 2 novembre 1681, la neige depuis longtemps avait blanchi ces solitudes, le vent dans ses rafales était le seul bruit que l'on entendait, le froid était intense, et la neige tombait toujours...

Le vénérable Hermite était en grande renommée dans toute la montagne, et les gens de La Prugne, de Saint-Nicolas, de Cherier et d'Arcon l'avaient en haute estime. Il vivait de la vie des saints, entièrement retiré du monde ; sa vie était toute contemplative, il ne se nourrissait que de pain noir qu'il arrosait avec l'eau de la fontaine de sainte Madeleine, c'était une source sacrée, trois grandes croix y étaient plantées, elles reposaient sur des pierres en granit fortement usées par la fréquentation des pèlerins. Aux grands jours de fête, quelques voisins lui apportaient du lard, et les autres des fromages secs. Au mois d'août, il allait cueillir des framboises et des airelles, si abondantes dans le Sapey.

Il y avait, à quelques cents pas du prieuré, une loge de bûcheron, loge maudite, de laquelle les enfants n'approchaient jamais et que les passants évitaient ; le bûcheron qui l'habitait avait une mauvaise réputation, et à l'annonce du crime qui venait d'être commis, l'on désigna aussitôt comme le meurtrier, le grand Dode, le sinistre bûcheron !

Les voisins qui, tous les matins, entendaient le son de la cloche, furent bien surpris de ne pas l'entendre le jour des Morts, car frère Jehan disait ce jour la messe pour ses plus proches voisins décédés. Les autres jours, la messe était dite pour le repos de l'âme du haut et puissant seigneur Forézien, qui succomba, là-bas, en face du prieuré, dans le champ du Massacre, sous les coups de son rival, Giraud, le vieux guerroyeur auvergnat.

Le champ du Massacre est une nécropole antique ; on y enterrait encore aux temps mérovingiens car beaucoup d'antiquités franques et mérovingiennes y ont été trouvées.

Le dimanche, c'était un rendez-vous des sabotiers, des bûcherons et des pâtres qui venaient au soleil levant entendre la messe du frère Jehan. Il ne manquait pas de leur dire de bonnes paroles, leur recommandant surtout de s'aimer les uns les autres. Frère Jehan était si bon ! Puis après l'instruction, l'on se séparait en chantant, en dansant dans les pacages du " Tomberinos " et cela au son du chalumeau d'écorce de verne, et au printemps, c'est-à-dire au mois de juin, le cornemusier d'Arcon ne manquait pas de venir égayer ses amis au sortir de la messe.
Lors de la récolte des airelles, des noisettes et de l'arnica, le dimanche, chacun se donnait rendez-vous aux patiers (les pacages) de Tomberinos, et le soir encore, la musette de saint André s'y faisait souvent entendre. Frère Jehan s'est plus d'une fois fâché quand les danses se prolongeaient après que le soleil se fût couché derrière les grands sapins ; plus d'une fillette maudissait la rigueur du frère Jehan.
Et c'est peut-être pour cela qu'on le trouva assassiné le jour des Morts ! le vent soufflait toujours et la neige tombait plus fort que les autres jours !

Il était bon, cependant, et surtout si affable ! Que de fois il fut le guide du voyageur égaré dans ces forêts, dans ces steppes couvertes de neige pendant huit mois de l'année ; que de fois il pansa leurs blessures avec l'arnica qu'il savait préparer, ou les réchauffa lorsqu'ils étaient transis de froid !
Il leur donnait même sa cellule et son lit de fougère ! Il n'avait que cela, le pauvre Frère ! Un jour, Pierre Barnazat, un  ouvrier de la grande verrerie de Saint-Nicolas, revenant de Saint-Just-en-Chevalet, fût surpris avec sa chétive monture par une tourmente de neige au bois des Vaques ; tous deux n'en pouvaient plus, l'homme était tombé sur une souche de sapin que le vent avait déraciné, - il avait mis quatre heures pour faire le trajet du Gué de la Chaux, à la Pierre aux cinq trous, quand il ne fallait qu'un quart d'heure en temps ordinaire.

   Frère Jehan, toujours en quête des malheureux égarés, l'aperçoit, il sonne plus fort sa cloche, et arrive au secours du malheureux, qui allait expirer. C'était le 30 novembre 1669, le jour de la fête de saint André. Depuis deux jours la neige n'avait cessé de tom-ber, et le vent mugissait dans le Sapey, le temps sirait (Sirer, se dit de la neige qui tombe en tourbillonnant.) depuis quarante huit heures, et le pauvre Pierre arrivait fort à propos pour être bien soigné.

C'était le jour de la fête du Prieuré et malgré le mauvais temps quelques gros marchands de corbes (Pièces de bois recourbées qui servent à la confection des bateaux que l'on construisait à Roanne. Ces pièces étaient en fayard, (le hêtre.), de sabots et de charbon de Saint-Nicolas et des Noës que l'habitude rassemblait ce jour au Prieuré s'y trouvaient déjà réunis à l'Angélus. On y fêta la saint André et le Prieuré, on alluma un grand feu et chacun réchauffa de son mieux Barnazat et son pauvre cheval. Frère Jehan monta une bouteille de vin bouché, le plus vieux qu'il trouva, le fit chauffer en y mêlant du miel et le donna à boire au voyageur et même à sa monture.
Tous les deux reprennent le chemin de la verrerie et malgré deux pieds de neige, il arrivèrent chez eux. La pauvre femme et les enfants de l'ouvrier gémissaient déjà, le croyant mort ; ils bénirent le frère Jehan !...
Et pourtant on le trouva assassiné, lui si charitable et si bon ; les premiers qui le virent poussèrent des cris si aigus qu'on les entendait jusqu'à Pierre-Belle.

Quelques jours après le sauvetage de Pierre Barnazat, au mois de février, il lui sembla entendre des gémissements du côté de Pierre-Belle ; il emmena avec lui un sabotier, son voisin, prit une fiole d'eau-de-vie et du miel que le Prieuré de Lyon lui envoyait chaque année. Ils trouvèrent un pauvre homme du village des Molières qui, égaré depuis cinq heures dans les neiges, tombait d'inanition et était engourdi par le froid. Après lui avoir donné les premiers soins, ils le ramenèrent à la vie, et appuyé sur ses deux sauveurs, il gagna avec eux le Prieuré. Un bon feu les attendait et une bouteille d'un bon vin de Vougy, ranima les forces de ce malheureux qui allait succomber.

Frère Jehan avait la réputation d'être bon médecin ; non seulement il avait sauvé la vie à bien des voyageurs égarés, mais aussi dans toute la contrée montagneuse, à la Madeleine, à l'Assise, les malades réclamaient souvent ses secours ; l'étude des simples et de leurs propriétés lui permettait de soulager ceux qui souffraient. Que de fois il allait soigner les bûcherons à deux lieues de là, à travers la neige, le vent ; souvent lui-même s'égarait.

Et pourtant le jour des Morts on le trouva assassiné, lui si bon, qu'on ne lui connaissait pas d'ennemis ! Ce jour-là, toute la population pleura le Frère Jehan, et voilà pourquoi la petite cloche du Prieuré ne sonna plus le jour des Morts... Le Frère Jehan gisait sur son lit de fougères, baigné dans son sang.
Le nom du meurtrier, on ne le saura jamais , car si le grand Dode de La Prugne a été accusé dès le premier jour, aucune preuve n'est venue démontrer qu'il s'était rendu coupable d'un si grand forfait.

Bien longtemps après, c'était en 1697, Dode était mort depuis plusieurs années, sa veuve devant se remarier, sollicita une dispense de parenté qui lui fut accordée par l'évêché de Clermont suivant un acte daté du 18 juin 1697, signé par le vicaire général du diocèse et contre signé : Cognet, secrétaire.
Mais si les actes de l'autorité judiciaire ne nous donnent aucun renseignement, la pièce que nous relatons ci-dessous, et qui a été dictée par les gens du pays, contient l'histoire de cet horrible assassinat. Nous allons en donner un extrait.

  Frère Jehan l'Hermite, le dernier prieur du Prieuré de la Madeleine, fût trouvé assassiné le 2 novembre 1681, sans que rien pût faire supposer le mobile d'un semblable crime ; ce n'était point par cupidité car le Prieuré n'était qu'une masure et la chapelle ne contenait aucun objet précieux.

Un bûcheron  natif de la Prugne et qui avait sa loge peu éloignée du Prieuré fût accusé de ce crime, et le grand Dode fut immédiatement  livré à la justice du seigneur de Saint-André d'Apchon.
On ne put lui arracher ni repentir, ni aveux. Le grand Dode, connu sous le nom de Jésus-Christ, fût enfin livré au Parlement de Paris et enfermé au Châtelet où il mourût, sans que son procès fût terminé, et pourtant déjà une longue procédure autorisait les plus grands soupçons sur sa culpabilité. Sa mort arrêta le cours du procès.

On ne saura jamais qui avait brisé le crâne du bon Frère Jehan, il était si affable, lui qui pendant les grandes neiges sauvait tant de pauvres voyageurs !

Et quand l'aurisse (l'orage) se déchaîne aux Sapeys, l'on n'entend plus comme à Montmorillon, la campane qui tinte ; le pauvre bûcheron ne l'entend plus pendant les tourmentes de neige pour l'inviter à se reposer au Prieuré et y boire une écuellée de vin chaud.

Oh ! Que l'on aimait Frère Jehan, autant que sainte Marie- des-Bois, qui vivait aux Sapeys cent ans après lui, c'était l'ange  tutélaire des grands bois, elle préservait de la grêle et des  aurisses, tant elle était bonne et puissante.
 Aussi les cinq  paroisses dont la limite était indiquée sur une vieille tombe  gauloise, la pierre à cinq trous (
Cette pierre a été détruite en 1889.), Saint-Nicolas-des-Biefs, les Noës, Arcon, Cherier et La Prugne, n'avaient rien à craindre de  la chute du ciel que l'on redoute tant encore ! jusqu'à ceux de  la Pierre du Joux ( Jo, Jovis, Jupiter. Le Jo, coq, était consacré au roi de l'Olympe) qui n'en craignaient rien, car la sainte  Marie-des-Bois était allée s'agenouiller à la pierre du Jo, vieux monument mégalithique édifié aux temps où l'homme ne connaissait même pas encore les armes d'airain.             

Un vieux sabotier d'Arçon, le père Grand-Petit, racontait à la veillée ce qu'il savait des ruines de la vieille chapelle du Prieuré de la Madeleine.

" Mon grand-père me racontait que l'on disait bien du mal des vieux temps et je crois qu'ils valaient mieux que ceux d'aujourd'hui, et qu'il venait chaque année à la messe du Prieuré le 22 juillet, pour qu'il ne grêlât jamais à Arçon notre village, il y avait vu dans son temps plusieurs moines qui priaient là, le jour et la nuit, dans des livres bien grands, la cloche de leur chapelle avait la même vertu que celles de Saint-Nicolas et de Montmorillon, et on dit même qu'elle valait mieux que la plus grosse du clocher d'Ambierle, la meilleure pourtant de toutes les paroisses des alentours et qui est aussi bonne pour les blés que pour les vignes."

 

Bien vrai, c'est un grand malheur pour notre pays, que l'on ait tué le Frère Jehan qui nous empêchait de grêler ! Comme ils ont pleuré les pâtres de Tomberinos, depuis que l'aurisse n'est plus conjurée par la petite cloche, et qu'elle ne cesse maintenant de briser les plus gros fayards de l'Assise et les sapins du Sapey, en faisant de grandes gonzières (Fondrières produites par les neiges accumulées) ou périssent ceux qui les traversent sans le savoir.

 

On disait aussi du temps de nos anciens, avant que notre pays soit chrétien, qu'il y avait la Fée de la Font des Moines, qui, à son gré, faisait la pluie et le beau temps ; mais le Frère Jehan avait encore plus de pouvoir que la Fée, car il n'avait qu'à prendre son capuce, et à ouvrir son grand livre marqué de croix rouges, et les miages (Nuages) se fendaient en deux au-dessus du  Sapey, pour aller s'abraser (s'écraser) sur la pierre de Jo ou à la Pierre Croisée, et toutes nos récoltes étaient sauvées.

 

Et quand on venait aux airelles, nous étions quelquefois plus de cent, et le Frère Jehan disait la messe pour nous, pendant que nous sonnions la cloche que l'on entendait jusqu'aux grands sapins.

Aussi, depuis sa mort, le bon Dieu a été en grande colère contre nous, et le jour de Noël on entend chaque année le bruit d'un char qui roule en grinçant sur ses essieux de bois comme ceux des Pions, et tout autour de la chapelle on voit de grandes flammes rouges et bleues.

Et c'est depuis ce temps que les prieurs de Notre-Dame d'Ainay n'ont plus voulu envoyer de moines dans la montagne ; Ils ont enlevé le poure (pauvre) mobilier du Prieuré et les ornements le la chapelle. Chaque jour le vent emportait les tuiles de la couverture, renversait le clocher, et peu à peu les murs s'effondraient. On y vient depuis longtemps chercher de la pierre équarrie, on a même démoli le souterrain pour en employer les matériaux. "

II y avait au Prieuré un pèlerinage annuel très régulièrement fréquenté, même après la mort du Frère Jehan, il eut lieu malgré la Révolution, et l'on y vient encore prier quelquefois autour de ces débris de murs à peine reconnaissables.

 

C'était le 22 juillet que tous les prêtres des paroisses voisines se rendaient processionnellement au Prieuré de Sainte-Madeleine, si l'on avait besoin du beau temps on était certain de Ie ramener. Si, au contraire, il fallait de la pluie pour les biens de la terre, on était sûr dès le lendemain de l'obtenir; mais aujourd'hui, comme les curés y viendraient seuls, le pèlerinage a cessé depuis quinze à vingt ans.

 

On dit aussi qu'un jour, avant la ruine complète de la chapelle, deux mauvais sujets y étant entrés et ayant manqué de respect au saint lieu, la voûte s'effondra sur les misérables et les engloutit.

Comme il fallait trop d'argent pour réédifier le petit monument, on laissa le temps achever son oeuvre de destruction. 

Malheur, malheur, le jour où le Frère Jehan fût assassiné, lui si bon pour tout le monde ! Que de pauvres passants durant les neiges ont été retrouvés morts de faim et de froid ; c'est que la cloche ne sonnait plus, et que le pauvre Prieur était mort.

Un peu après la Révolution, trois sabotiers de Saint-Priest, armés de leur plaine* (Outil à façonner les sabots, formé d'une forte lame précédée du manche et terminé par un gros anneau recourbé) menacèrent les gens des autres  paroisses venus en pèlerinage et en blessèrent plusieurs. Ces  rivalités entre villages n'ont pas encore disparu. (Cette remarque est toujours d'actualité en 2006!)           

La chapelle était de style roman primitif, formée d'une nef de vingt mètres de longueur et terminée par une abside en cul de four ; un petit transept en faisait une croix latine - On y voyait encore les traces de l'incendie qui la ruina en partie vers 1745. Elle avait succédé à un oratoire qui lui-même remplaçai un édicule construit aux temps du paganisme.              

Le souvenir d'une bataille qui se livra entre les seigneurs Foréziens et ceux d'Auvergne, subsiste encore aux environs du Prieuré. Ce furent les Foréziens qui succombèrent, leur armée fût anéantie ; c'est pourquoi la tradition a conservé le nom de Champ du Massacre à l'endroit où ce sanglant combat eût lieu. On y retrouve encore beaucoup d'ossements humains, des squelettes de chevaux, des lances, des armes, des fers, des flèches, des scramasaxes* (grand poignard de guerre des francs), des éperons, des agrafes de ceinturon, des verreries, des poteries et des monnaies. La collection du regretté docteur Noëlas en renfermait une certaine quantité.

  Suivant une tradition du pays, une grande bataille eût lieu en cet endroit ; elle pourrait bien se rapporter aux troubles sanglants auxquels donna lieu la succession de Clotilde au VI ème siècle. Les Francs furent vainqueurs à Mariolles, dans la plaine d'Ambierle ; ils poursuivirent les vaincus jusque dans les Bois-Noirs, où ils s'étaient réfugiés.                                

Le souvenir s'est également conservé d'une bande de pirates anglais qui débarquèrent à Calais, ravagèrent la Bourgogne au XIVe siècle, et dont ceux qui la composaient vinrent échouer aux Bois Noirs, où ils périrent de faim et de froid (d'après J. DE SERRES et Scipion DUPLEIX, Histoire de France.)                              

 Cette position comme champ de bataille ou comme emplacement d'une place défensive assurant le passage du Forez en Bourbonnais, avait été remarquée depuis les temps les plus reculés ; on voit à quelques centaines de mètres à l'occident des ruines du Prieuré, près du Gué de la Chaux, un retranchement entourant une plate forme. Une circonvallation de vingt fossés symétriquement  disposés   en  protégeait  l'accès. L'emplacement de la porte est encore visible. Ces travaux de défense sont remarquables par leur parfaite conservation ; ils se rapprochent beaucoup de ceux que nos soldats ont remarqués autour de Sébastopol.

 Les souvenirs datant de la plus haute antiquité ne sont point effacés ; le guide qui vous indique la Pierre du Jo ne manque point de dire qu'on y massacrait les premiers chrétiens. On remarque sur cette pierre de profondes cuvettes creusées par des mains humaines. Le dessin nettement marqué correspond à l'empreinte que pouvait laisser le corps d'un homme couché sur le dos ; on a voulu attribuer au hasard, aux influences atmosphériques le creusement régulier et symétrique de ces bassins ou écuelles, dans une pierre que l'acier entame avec difficulté, et qui ont été produites par un travail intelligemment conçu. 
Nous repoussons de toutes nos forces ces imputations envers les monuments mégalithiques de la montagne. Ils semblent indiquer le souvenir de la première étape de la civilisation et l'on prétendrait qu'ils fussent un jeu de la nature, une bizarrerie du hasard!

Il faut n'en avoir jamais vu, n'en avoir jamais étudié pour n'y pas voir une intention manifeste de l'homme ; du reste des archéologues compétents ont avant nous défendu ces monuments si extraordinaires.
Près de la vieille chapelle et vers les grands bois, l'on voyait encore des cromlechs* 
(Monument mégalithique formé de blocs espacés dressés en cercle.)  fort élevés aussi hauts que l'est la Pierre Croisée ; on les appelle encore quoique détruits, les Pâli (palets) de Gargantua). Puis, un autre que l'on nomme la Pierre de la Sellette, à cause d'un siège bien taillé pour y placer l'homme que l'on voulait immoler ; on y voyait même une rigole dont le fond avait été coloré en rouge par le sang souvent répandu. (NDLR ça pourrait plus sûrement être de l'oxyde de fer)    Dans beaucoup de régions de la France, dans l'Orléanais et dans l'Ouest, les dolmens, les menhirs et bien d'autres mégalithes sont appelés la maison de Gargantua. Cette dénomination si répandue démontre bien la nature supérieure en force dont levaient être doués les hommes qui avaient élevé ces monuments. Ces gigantesques et mystérieux travaux après avoir excité notre admiration étonneront longtemps encore les générations futures.

Cette partie montagneuse a été habitée à toutes les époques, car les habitants y trouvaient une certaine sécurité. On y retrouve les traces du passage de l'homme aux temps quaternaires, et sur ces hauteurs, on peut y recueillir des silex éclatés complètement étrangers au pays, et importés d'outre-Loire.

 Depuis la côte d'Ambierle jusqu'aux dernières pentes de  l'Assise on retrouve le souvenir de saint Martin. Il couchait sous les grandes pierres du Foreté. Plusieurs pierres portent son nom, et dans la montagne on le répète avec celui de Jehan l'Hermite que l'on enterra aux grands sapins ! I                                             

 Francis PEROT et Jehan DES MOLIERES* (Les Molières étaient un petit fief dépendant de La Prugne, il y avait même une chapelle, les anciens curés de cette localité prenaient le titre des Molières, en 1647, Pierre Bletterie était seigneur des Molières.)

ACCUEIL                                                                      TEXTES HISTORIQUES