(d’après Jehan des Molières – 1890) |
|
Le
voyageur qui parcourrait la montagne bourbonnaise aux approches de la
Saint-Jean ne manquerait pas d'entendre, fréquemment répété, un air
singulier qui frapperait son attention. C'est l'air de la Saint-Jean. |
|
Le
plus souvent ce sont des groupes de bergères qui se répondent,
quelquefois à une longue distance. Elles chantent à pleins poumons et
les montagnes répètent lentement les sons mélancoliques de ces chœurs
agrestes. …..
La chanson de la Saint-Jean met en scène deux personnages, deux bergères
qui, tour à tour, s'interrogent et se demandent, en forme de dialogue,
quelle résolution elles vont prendre à la Saint Jean, a quels plaisirs
innocents, à quelle joie elles se livreront avant de se quitter. |
La
Saint-Jean, voilà tout l'objet de leur préoccupation; cette fête est
proche, et bientôt il faudra se séparer, peut-être pour plusieurs années. |
|
C'est au point qu'il y a cinquante ou soixante ans, un maire de Saint-Clément, M. Presle, de Chandagne, commune de la Chabanne, avait fait défense de chanter la Saint-Jean, parce qu'elle donnait le mal du pays aux bergères venues de Ferrières, de la Prugne, de Lavoine, de l'Auvergne, etc., et que l'on ne pouvait plus les garder. |
Il serait difficile de dire à quelle époque précise remonte cette chanson, si attachante qu'elle produit de tels effets; mais s’il est vrai que depuis longtemps la grande loue des domestiques se fait au Mayet le 24 juin et à Laprugne (patron Saint- Jean) le 23 juin, la veille de la saint Jean et jour de foire en cette localité, peut-être pourrait-on lui donner une origine aussi ancienne que l'usage auquel elle fait allusion. |
|
Quoiqu'il |
|
Le
plus souvent elle est répétée par les bergères de Lavoine, de La
Prugne, de La Chabanne, de Saint-Nicolas. Ce sont elles qui la connaissent
le mieux et chez qui s'est le plus fidèlement conservé le vrai patois de
la montagne. Ce chant nous paraît absolument exact, car nous l'avons recueilli de la bouche même des rustiques chanteuses, et ce n'est pas notre faute s'il diffère de celui qu'a publié M. Batissier dans ses Promenades pittoresques. Nous croyons le nôtre plus ancien, plus poétique et surtout plus authentique. |
—
Oh ! Véci la Saint-Jean, ma mia, ma cam'rada, |
Voici la Saint-Jean, mon amie, ma camarade, qu’il faudra nous quitter. |
—
T'en sauras-tu pas mau, ma mia, ma cam'rada. |
Ne t’en saura-t-il mal, de devoir nous quitter ? |
—
Ou m'en saura bin mau, ma mia, ma cam'rada |
Il m’en sera bien mal, mais pleurer, je ne peux pas. |
—
Faut pas te chagrigniâ, ma mia, ma cam'rada |
Il ne faut pas te chagriner, toujours rire et chanter, et demeurer là. |
—
Peux pas rire et chanta, ma miâ, ma cam'rada,
|
Je
ne peux pas rire et chanter, je suis trop chagrinée. |
—
Demora ne peux pas, ma miâ, ma cam'rada, |
Je ne peux pas rester, ils ne veulent pas assez me donner. |
—
Combien vô tu gagnâ, ma miâ, ma cam'rada, |
Combien veux-tu gagner, de plus que l’an passé? |
|
Je veux gagner mon châle, et les étrennes des bestiaux, et l’argent de mon chapeau. |
—
Oh ! s'é tou dounons pas, ma miâ, ma cam'rada, |
S’ils ne te le donnent pas, resteras-tu ? |
—
Oh ! s'é m'on dounont pas, ma miâ, ma cam'rada, |
S’ils
ne me le donnent pas, ce serait bien un hasard que je reste. |
—
Et ion t'iras en champ ma miâ, ma cam'rada, |
Et tu t’en iras par les champs, aux vêpres de la Saint-Jean ? |
—
Y'irai pà lou grands pras, ma miâ, ma cam'rada, |
J’irai dans les grands prés, faire la fusée bouquetée. |
—A
quo t'la douneras, ma miâ, ma cam'rada, |
A qui la donneras-tu, ta fusée bouquetée ? |
—
La doun'rai à ma mouet’sa, ma miâ, ma cam'rada, |
Je la donnerai à ma maîtresse afin qu’elle augmente mon salaire |
-
Et
ion t'iras en champ, ma mia, ma cam'rada, |
Et tu t’en iras par les champs, le jour de la Saint-Jean ? |
—
Y’irai pa ka grands rés , ma mia, ma cam'rada, |
J’irai dans ces grandes collines couronnées de rochers. |
—
Quéque te porteras, ma mia, ma cam'rada, |
Qu’est-ce que tu porteras pour notre déjeuner ? |
—
De la gouère et do schlian, ma mia, ma cam'rada, |
De la tarte et du flan, et du fromage d’un an. |
—
M'in douneras-tu bin, ma mia, ma cam'rada, |
M’en donneras-tu, du fromage de la tarte et du flan ? |
—
Faura bin t'en douna, ma mia, ma cam'rada, |
l faudra bien que je t’en donne, et puis faire nos adieux. |
—
Ne nous vérins donc pus, ma mia, ma cam'rada, Ne nous vérins donc pus, pas dessus ka grands rés, Pas dessus ka grands rés. |
Nous
ne nous verrons donc plus, par-dessus les grandes collines. |
—
Ne nous vérins bin moî, ma mia, ma cam'rada, Ne nous vérins ben moi pa darriè ka grands bos, Pa darriè ka grands bos |
Nous nous verrons bien encore, par derrière ces grands bois. |
—
Ka grands bos sont bin hauts, ma mia, ma cam'rada, Ka grands bos sont bin hauts, — Fourra donc l'iaccourça, |
Ces
grands bois sont bien hauts – Faudra donc les raccourcir. |