Laprugne et les abbesses de Cusset

L'histoire de Laprugne au Moyen-Age est étroitement liée aux abbesses de Cusset. Ce sont elles qui tiraient bénéfices de la cure et des bois, qui nommaient le curé de Laprugne et qui se réfugiaient, en cas de danger, dans leur forteresse du Châtelard.

Voici, tirés du remarquable ouvrage de Paul Duchon: Histoire de Cusset par Paul Duchon (les Amis du Vieux Cusset 1973) quelques faits concernant conjointement l'abbaye de Cusset et la paroisse de Laprugne.

IX e siècle

Emmenus (Eumène) évêque de Nevers fonda en 886 dans le village de Cusset, une abbaye de religieuses bénédictines.

Xe siècle

Pour des raisons restées inconnues, la construction complète de l'abbaye et de ses dépendances dura tout un siècle; car c'est seulement en 989 que les religieuse firent consacrer l'église et leur couvent par saint Fulcran, évêque de Lodève. Fulcran plaça l'église qu'il venait de consacrer sous le vocable de Saint-Sauveur, lui donnant le même nom que celle qu'il avait bénie à Lodève en 976.

Et l'abbaye s'appela désormais l'Abbaye Saint-Sauveur de Cusset.

Cela se passait dans les premières années du règne de Hugues Capet.

XIIe siècle

C' est une période de prospérité pour l'abbaye et pour la ville de Cusset. Car le bourg est décidément devenu une ville. Et cette ville s'accroît. Quatre chemins la traversent et s'y croisent, formant les rues principales de l'agglomération.

Le plus important vient de La Palisse et va vers Vichy où il traverse l'Allier ; c'est par là que les marchandises de Bourgogne et du Lyonnais se dirigent vers le Berry, le Limousin ou Clermont.

Un embranchement conduit en Forez — contrée démembrée du Lyonnais —par Aubepière, Châtel-Montagne et la Croix-du-Sud (le prieuré de Châtel-Montagne hospitalise les voyageurs).

Un autre chemin conduit en Forez, en remontant la vallée du Sichon, alors appelé Chisson, et passe par Arronnes et Saint-Priest-la-Prugne (alors appelé Saint-Priest-de-Chenest), localités où Cluny a installé des prieurés pour hospitaliser et secourir les voyageurs.

Un troisième chemin vient de ce nord de l'Auvergne qui sera le chemin qui vient de Vouroux (actuellement Varennes) et qui passe par Billy et Saint-Germain des Fossés.

La rue de l'Isle se dirige vers l'église paroissiale et devient, au sortir de la ville, le chemin qui va sur Saint-Yorre, Ris et Chateldon par le Vernet en traversant le Sichon au Chambon.

En 1171 , le roi Louis VII étant à Bourges, l'abbesse de Cusset sollicita la protection royale comme le faisaient alors plusieurs églises importantes d Auvergne, qui recherchaient cette sauvegarde contre les ravages occasionnés par les guerres privées entre partisans de France et d'Angleterre.

L'abbesse de Cusset alla plus loin. Désireuse de ne jamais être soumise au comte d Auvergne, elle demande que son abbaye et ses dépendances fassent partie des fiefs directs de la Couronne et qu'elles en soient inséparables et inaliénables.

Le roi accueillit d'autant plus volontiers cette requête qu'il s'agissait d'une importante abbaye et d'une ville de cette province d'Auvergne qui lui était si âprement disputée.

Traduction de la lettre de  LOUIS VII

Au nom de la Sainte et Indivisible Trinité, Louis, par la Grâce de Dieu, roi de France,

L'équité et la raison font un devoir d'accorder les demandes qui sont justes, alors surtout que la piété le conseille.

C'est pourquoi nous avons écouté favorablement la demande du couvent de Cusset et celle de notre chère Agnès, abbesse de ce monastère. Et à l'exemple de nos prédécesseurs, nous avons pris sous la protection royale le Monastère de Cusset. Nous nous engageons en notre nom et au nom de tous les rois de France qui nous succéderont, à ne jamais le placer hors de la main royale et par conséquent à ne jamais le donner en fief à qui que ce soit.

Par les présentes lettres nous confirmons cet engagement. Et nous ordonnons que cette abbaye jouisse à perpétuité et sans trouble de chacun de ses biens présents ou à venir, qu'ils proviennent soit des concessions des papes, soit de la munificence des rois ou des princes, soit des oblations des fidèles, soit de toute autre façon légitime.

Parmi ces biens nous désignons nommément : la terre de Saint-Marcel, la terre d'Espinasse, la terre des Malavaux, la terre d'Aubepière, la terre d'Espet, la terre de La Prugne, la terre de Roure, la terre de la Chapelle la terre de Régnât.

Nous prenons sous notre protection toutes ces propriétés et toutes celles que possède le monastère de Cusset soit en seigneurie, soit en pleine propriété…….

Fait publiquement à Bourges, l'an du Seigneur 1171, dans notre palais.

La terre de La Prugne est située dans un pays de montagnes boisées, vers les sources de la Besbre, sur les confins du Forez.
Elle consiste dans un domaine qui sera plus tard érigé en prieuré, dans des droits seigneuriaux et surtout dans une forêt considérable qui fait aujourd'hui partie de la forêt de l'Assise.

Cette terre contribuera à former la paroisse de La Prugne. (On voit par une visite de Massillon, évèque de Clermont, du 4 juin 1725, que l'abbesse nomme à la cure de Laprugne, mais qu'elle en partage les dîmes avec le seigneur de Ferrières, le seigneur des Bouchaines et le prieur de Cunlhat à cause de son prieuré de Saint-Priest de Chenest)

Lorsque les religieuses se sentiront menacées par quelques bandes armées ou par quelque épidémie, elles iront fréquemment chercher un refuge dans la solitude de La Prugne; et afin que ce refuge soit plus assuré, elles y feront construire une forteresse appelée « le Châtelard ».

XIIIe siècle

Serment de CATHERINE DE CHATEL-MONTAGNE, nouvelle abbesse de Cusset à son évèque
(1263) (Traduction)

« Moi, Catherine de Châtel-Montagne, récemment nommée abbesse au monastère de Cusset, diocèse de Clermont, promets obéissance, respect, fidélité et soumission à Vous, Révérend père en Christ, seigneur Guy, évêque de mon diocèse de Clermont, ainsi qu'aux évêques de Clermont qui vous succéderont et à l'Eglise de Clermont. Et par cet écrit je m'engage à pratiquer cette obéissance et tout ce qui vient d'être dit ; et, au nom du monastère de Cusset, je jure sur les Saints Evangiles de Dieu d'observer ce qui vient d'être stipulé.

En témoignage de quoi, moi, susdite abbesse, vous donne, à vous seigneur évêque de Clermont, les présentes lettres munies de la confirmation de mon sceau.

 Donné le dimanche jour de la fête de Saint-Martin d'hiver, l'an du Seigneur 1263.»

On doit à cette abbesse les belles cloches de l'église de La Prugne. Elle appartenait à une famille chevaleresque (les de Châtel-Montagne) dont le nom est souvent cité .

 

XIV e siècle

En 1320, l 'abbaye était gouvernée par Isabeau de Saint-Germain. Le 26 mars (1320 ou 1321) sans doute à cause de quelques difficultés, elle procéda à un acte d'échange , de délimitation et de bornage avec le comte du Forez, au sujet de la terre de Laprugne.

 

Vers 1340, la guerre contre l'Angleterre reprend sous le nouveau roi Jean le Bon. Les Anglais envahissent l'Auvergne. Des bandes de routiers anglo-gascons et anglo-limousins pillent la région de Cusset, étendant leurs ravages jusqu'à la côte Roannaise , où ils s'établissent à Renaison. Les habitants se réfugient dans les montagnes de la Madeleine et y font leurs demeures au fond des bois dansles cachettes. L'abbaye de Cusset entretenait en état la forteresse du Châtelard, située dans ces montagnes, pour servir de refuge aux habitants de son prieuré de La Prugne. On y entassait les gens, les récoltes, le bétail et tous les meubles qu'on pouvait emporter.

XVe siècle

En 1471, Cusset servit de place-frontière dans le conflit qui opposait le roi de France Louis XI au duc de Bourgogne, Charles le Téméraire.

L'inimitié des Bourguignons rendait peu sûr le pays des environs. Au mois de mai 1473 Blanche de la Tour, abbesse de Cusset, demanda au roi l'autorisation de reconstruire à La Prugne, la forteresse du Châtelard, ruinée depuis longtemps et où les religieuses avaient autrefois l'habitude de se réfugier avec leurs biens les plus précieux en cas de péril imminent.

Ce que Louis XI accorda par les lettres suivantes :

Lettres portant permission aux Religieuses de Cucy de faire reconstruire une place forte avec    concession du droit de guet.

(Exmes près Chinon mai 1473)

Loys, roi de France, sçavoir faisons, à tous, nous avoir receue l'umble supplication de noz bien amées les Religieuses, Abbesse et Couvent de Cucy, contenant que lesdictes suppliantes, à cause de leur monastère et esglise sont dames justicières et censivières du lieu et terre de la Prugne, situé et assis au ressort de nostre prévosté de Cucy, auquel lieu elles ont tout droict de justice et juridiction, haulte, moyenne et basse ;

et y souloit avoir de si grant ancienneté quil n'est mémoire de contraire belle, place et maison forte que l'on appeloit vulgairement au pays la place du Chastellart, en laquelle elles et leurs subjectz audit lieu vouloient en temps de guerre et hostilités, quant ladicte place estoit en estât, faire le retraict et reffuge d'eulx et de leurs biens ; mais au moyen des guerres et divisions qui ont eu cours en nostre royaulme et aultrement, ladicte place et maison forte est cheute, tombée et venue en ruyne et désolation, tellement qu'elle est à présent comme inhabitée et n'y apparoist fors les carales des murailles et foussez seullement ; laquelle place et maison forte les dictes suppliantes, tant pour le bon entretènement de leurs dictes terre et seigneurie de la Prugne que pour la tuition et garde de leurs personnes et bien et retraict de leurs dictez subjectz, aient entencion de faire réédiffier et mettre en estât, moyennant nostre plaisir congié et licence, à nous humblement requérant iceulx ; et aussi que pour leur aydes à faire ladicte réédiffication, en quoy leur conviendront beaucoût frayer, il nous plaise leur octroyer qu'elles puissent joïr dès à présent du droist de guet, qui d'ancienneté souloit appartenir à ladicte place et maison forte avant la démolition d'icelle et sur ce leur impartir nostre grâce ; —

Pour quoy. Nous, ces choses considérées, inclinans à la supplication et requeste desdictes suppliantes, à icelles pour ces causes et autres à ce nous mouvans, avons donné et octroyé, donnons et octroyons, de nostre certaine science, grâce espécial, plaine puissance et auctorité royal, par ces présentes, congié et licence de faire réédiffier, bastir et construire de nouveau ladicte place et maison forte du Chastellart, et la fortiffier de murailles, tours, porteaulx et machicollis, pont-leveiz, boulevers, foussez et autres fortiffications et emparemens propices et nécessaires à place forte, au lieu qu'elle estoit d'ancienneté construite, ou ailleurs, en tel autre lieu de la terre et seigneurie de la Prugne, qu'elles verront à ce faire plus avantageux et convenable ; et de nostre plus ample grâce, leur avons en oultre octroyé et octroyons, affin qu'elles ayent mieulx de quoy fournir auxdictz fraiz et despences que faire leur conviendra pour la réédiffication et fortiffication des susdictes, qu'elles joïssent dès à présent piaillement et entièrement dudit droict de guet appartenant d'ancienneté à ladicte place et maison forte, et tout ainsi qu'elles feroient et pourroient faire s'elle estoit en estât qu'on y puist faire ledit guet, nonobstant quelconques ordonnances, mandemens ou deffences à ce contraires.

Si donnons en mandement, etc...

Donné à Exmes près Chinon, mai 1473

XVIIIe siècle         

Les revenus de l'Abbaye.

On a plusieurs états dressés par la généralité de Moulins concernant l'abbaye.

En 1728, M . Faulquemont, subdélégué de l'intendant envoie l'Etat du monastère de Cusset : 25 religieuses ; 8.690 livres de revenus grevés de 2.615 livres de charges.

La communauté a des dettes qu'on amortit avec les dots des religieuses qui entrent : mais depuis six ans il n'y a eu aucune entrée. Le monastère possède le domaine Chavanon, un domaine à Depierre ou Espet, un domaine et des dîmes au Roure, paroisse du Vernet, affermées à Bardet et à Cornil ; une dîme à Chassignolles, également affermée ; un domaine à La Chapelle;

une dîme à Espinasse ; une dîme à Creuzier-le-Neuf ; une dîme à Serbannes ; le greffe de la prévôté de Cusset affermé à M, Bargirot ; une dîme et des terres à La Prugne, le tout affermé à M. Chappuy ; le droit de charnage à Cusset et au Vernet, affermé au sieur Bourasset ; le Moulin du Bateau, à Cusset ; un dîme à Saint-Marcel et à Entraigues près de Maringues ; le droit de brassage à Creuzier-le-Vieux affermé à M. Antoine Desbrest ; la dîme du prieuré de Chassignolles affermée à Tantôt et Coursol ; les cens et surcens de l'ensemble de leur seigneurie affermés à Louis Devaux.

II faut y ajouter des revenus sur la paroisse de Saint-Christophe, mentionnés en 1664 et sur plusieurs autres paroisses. Il faut également noter parmi les biens de l'abbaye les bois de La Prugne, faisant partie de la forêt de l'Assise. Le 16 juillet 1757 eut lieu le partage de la forêt de l'Assise : les deux tiers sont attribués à l'abbesse de Cusset à cause de son fief de la Prugne, et l'autre tiers au Seigneur de Saint-André d'Apchon. (Voir Arch. de l'Allier, une pièce sur les bois de l'abbesse près de Saint Priest-la-Prugne en 1760. C . t. Carton 21).

Les charges consistent dans le traitement des curés de Cusset, de La Prugne, de Serbannes, de La Chapelle, de Périgny et dans les redevances dues au Chapitre Notre-Dame de Cusset.

En 1754 l 'administration ayant établi un nouveau bilan de l'abbaye, celle-ci trouva qu'on n'avait pas suffisamment prévisé ses charges et dépenses ; elle les précisa ainsi qu'il suit :

Dépenses de l'abbaye en 1754.

1° Mesdames de la Chaise d'Aix, du Crozet, de Dreuille, de Matha, de Saint-Georges et de la Richardie, religieuses conseillères, donnent 70 livres de rente au curé de Cusset pour sa portion congrue.

2° Dettes envers Philippart, de Saint-Menoux : 150 livres de rente.

3° Dette envers Ch. Fontan de Montély, évêque de Nevers : 340 livres de rente.

4° Bailhon, juge de l'abbaye, a pour gages 2 septiers de seigle et 2 septiers d'avoine.

5° Chapus, procureur d'office de l'abbaye, a pour gages 16 quartons de seigle et 20 quartons d'avoine.

6° Le greffier de la juridiction domaniale a pour gages 18 quartons de seigle et 16 quartons d'avoine.

7° Baudesson, huissier de l'abbaye, 2 septiers de seigle et 2 septiers d'avoine.

8° Bouérot, médecin de l'abbaye, 2 poinçons de vins, 20 quartons d'avoine et 16 quartons de seigle.

200 livres à l'ordinaire, à Clermont, pour Cusset.

10° La prieure d'Abrest reçoit 45 livres .

11° La prieure de Saint-Yorre reçoit 30 livres .

12° La prieure de Chassignolles reçoit 20 livres .

13° M. Charbone, curé de La Prugne, reçoit 187 livres pour sa portion congrue. (A la même époque le curé de Molles recevait 300 livres pour sa portion congrue)

14° Le Sr Decombes, receveur de l'abbaye, reçoit 100 livres , 12 septiers de seigle, 3 poinçons de vin, 40 sols pour frais de déplacements dans la campagne.

15° Plus les gages variables de sept domestiques.

En 1756, l 'abbaye fit aveu de ses revenus à la Chambre des décimes. La leyde y figure avec cette mention: 280 boisseaux de froment, 242 boisseaux de seigle, 60 boisseaux d'orge, 20 boisseaux d'avoine.

 

En 1769, les revenus de l'abbaye s'élèvent (en plus des dots que les religieuses apportent à la communauté) à 21 743 livres tournois. La paroisse de La Prugne rapporte 1 400 livres à elle seule.

LEXIQUE

Leyde:
droit de place perçu par l'abbaye les jours de foire ou de marché

Boisseau: Le boisseau est un récipient de forme cylindrique destiné à mesurer les matières sèches (grains et farines), de capacité variable suivant les lieux et les époques. Cette mesure était utilisée en France avant l'instauration du système métrique, et valait 12,67 litres (un douzième de setier).

 

Setier (ou septier): Le setier est une ancienne mesure de capacité, de valeur variable suivant les époques, les régions, et la nature des marchandises mesurées.

 Quarton: C'est une ancienne mesure de capacité de grains


Dîme
: La dîme — du latin decima, dixième — était, sous l'Ancien Régime en France, un impôt collecté en faveur de l'Église catholique et servant à l'entretien des ministres du culte.

La portion congrue: Dans de nombreuses paroisses de France sous l'Ancien Régime, la dîme n'est pas perçue directement par le curé mais par de "gros décimateurs" appelés curé primitif : ceux-ci reversent au curé desservant une partie de cette dîme appelée la portion congrue, qui comme son nom l'indique, à l'origine, doit permettre au prêtre de vivre convenablement

Livres tournois: La livre tournois est une monnaie de compte utilisée en France sous l'Ancien Régime . Elle a d'abord été frappée à l'abbaye Saint-Martin, dans la région de Tours (d'où lui vient son nom de tournois). En 1667, la livre tournois supplante définitivement la livre parisis, qui continuait à être utilisée dans quelques régions du royaume.

Prieur: C'est le nom que porte le supérieur d'une petite communauté détachée de celle d'une abbaye. Elle habite alors un prieuré (prioratus), qui tient son nom du prieur. Un prieuré peut être soit dépendant, soit indépendant d'une abbaye mère.

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