Extrait de : Les fiefs du Bourbonnais

(A de la Faige et R de la Boutresse) Paris (Plon) Moulins (Durand) 1896

La très vieille paroisse de la Prugne en Auvergne semble avoir eu pour origine un prieuré, jadis dépendance du couvent de Cusset et dont, au temps de Nicolaï, il ne restait plus que le souvenir : de ce prieuré, sans doute, provient la curieuse cloche de 1474, encore possédée par l’église paroissiale et marquée aux armes des Beaujeu.

Cette possession de la Prugne par les abbesses de Cusset remonte probablement à l’origine du monastère : dès l’acte de 1320, où une de ces abbesses, Isabelle de Saint-Germain, conclut avec Guy, comte de Forez, certains arrangements au sujet des dîmes de Saint-Pierre-le-Chenu (actuellement Saint-Priest la Prugne), il est spécifié qu’  « elles soulent avoir les droits seigneuriaux de la Prugne de si grande ancienneté qu’il n’est mémoire du contraire ».

Une partie de la Prugne, confinant au Forez (la Bonnière, la Bletterie, etc.), forma cependant, paraît-il, une seigneurie à part, qui n’aurait été réunie à l’abbaye de Cusset qu’au commencement du XVIIIe siècle, par l’apport que lui en firent Diane et Thérèse de Linars, toutes deux religieuses dans ce monastères et sœurs d’une troisième demoiselle de Linars par le mariage de laquelle quelques droits seigneuriaux du pays auraient passé aux d’Apchon-Saint-André – Nous rapportons cette intéressante tradition telle que nous l’avons recueillie, mais nous n’avons pu l’appuyer d’aucun document, sauf peut-être d’une pièce que nous avons entre les mains et qui prouve qu’en 1787, le seigneur de Saint-André d’Apchon (actuellement département de la Loire) percevait encore des cens sur une terre appelée la Goutte, sise près de la Bonnière sur le ruisseau de Sappey et appartenant alors comme aujourd’hui à la famille Goutty.

A cela nous ajouterons qu’une Diane de Linars figure en 1643 comme coadjutrice de l’abbesse de Cusset et devint plus tard abbesse elle-même, et que, dans le pré où confluent les ruisseaux de Sappey et de Linars, vers une petite passerelle, près de la Bonnière, on montre encore, à l’emplacement présumé du vieux château de Linars, un terrain certainement remué de main d’homme et où peut bien avoir été, en effet, une motte féodale.

  Parmi les noms des receveurs de l’abbaye de Cusset, nous relèverons, de 1658 à 1678, celui de Gilbert Ratignier ; en 1680, celui de Gilbert Burnolles,, notaire royal, seigneur de Gravières, paroisse de la Chapelle, époux de demoiselle Cathelin des Paputs ; puis de 1697 à 1725, celui de Gilbert Chappuy* et enfin d’un Descombes, époux de demoiselle de Fougerolles, qui joua lors de la Révolution un rôle assez peu recommandable.

*Le vieux logis des Chappuy, sis en face de la mairie actuelle, possède encore une vaste cheminée de bois, où se voient leurs armes, d’azur à une palme d’or, accompagnée en chef de deux étoiles et en pointe de deux croissants de même. La maison Descombes allait depuis l’auberge Charrier jusqu’à la maison des Ojardias.

L’existence du château du Chatelard est autrement certaine que celle de Linars, et pourtant il n’en subsiste guère de traces encore visibles : tout au plus quelques murs rasés autour d’une excavation, d’où l’on a sans doute extyrait des matériaux, et, à cinquante mètres plus bas, les débris d’une tour ronde reliés au reste par des vestiges de maçonnerie. Ces ruines insignifiantes occupent, il est vrai, une situation admirable sur un mamelon qui domine Charrier et d’où l’on commande non seulement le col de Saint-Priest la Prugne, une des portes du Bourbonnais, mais encore la vallée où débouche la route du Forez par la Madeleine.

Aussi est-ce un rôle d’interdiction, de fort d’arrêt, pour ainsi dire, qu’assigne au Chatelard une pièce, dont nous devons à M. l’abbé Bletterie l’intéressante communication, et qui forme pour nous l’histoire de ce vieux château.

Cette pièce, datée d’Exmes (probablement Huismes), près de Chinon, et du mois de mai 1473, est une lettre du roi Louis XI, dans laquelle il est d’abord exposé que les religieuses de Cusset « avaient d’ancienneté au lieu de la Prugne une place et maison forte vulgairement appelée le Chastellard, en laquelle elles et leurs subjects soulaient en temps de guerre et hostilités, et quand ladite place était en état, faire retraiet et refuge d’eux et de leurs biens.

Mais, ajoute t-on, au moyen des guerres et divisions et autrement, le Chastellard est venu en ruyne et désolation, tellement qu’il n’y apparaît fort les carales (sic) des murs et foussez seulement »

Les religieuses demandent donc à ce qu’il leur soit permis la réédification d’un château qui est nécessaire « pour la tuytion et garde de leurs biens et sujets » et que, pour les aider à ces dépenses, on leur accorde, même avant qu’elles soient faites, le droit de garde, qu’elles ont de tout temps possédé.

Le Roi accorda aux religieuses tout ce qu’elles demandaient, ayant soin d’ajouter qu’il les laissait libres de choisir pour reconstruire leur chastellard tel emplacement qui leur semblera avantageux et convenable ; mais elles ne paraissent point avoir profité de la permission qu’elles avaient sollicitée.

Sur la Prugne était encore le château de Fontbelle, dont on voit des restes indubitables à la jonction de deux chemins sur le versant ouest du mamelon coté 936 (au-dessus de la lettre s du mot Bouzarets). En 1467, nous trouvons bien une transaction entre Jacques de Fontbelle et le seigneur de Ferrières, mais ce nom de Fontbelle, encore porté par des cultivateurs des environs, nous semble plutôt appartenir à un chef de communauté qu’à un possesseur de fief, et, dès ce moment, Fontbelle devait être une simple dépendance de Ferrières : c’est, d’ailleurs, ce qu’il resta jusqu’à la Révolution, et, au siècle dernier, nous voyons de nombreux actes passés entre les communautés voisines, celle des Roches notamment, et les seigneurs de Ferrières pour les bois, gruyères et terres vagues de Fontbelle.

Au point de vue des recherches locales, les environs de Fontbelle sont particulièrement intéressants, et à Fontbelle même, sur la montagne des Agaux* aux Demandiers, on trouve des traces non douteuses d’habitations préhistoriques et de fortifications primitives : cela rentre assurément dans une branche d’études particulière, et nous nous bornerons à faire observer que l’hypothèse d’un établissement considérable en ce point est parfaitement acceptable : là fut longtemps, en effet, la limite entre les trois pays de Forez, d’Auvergne et de Bourbonnais et les noms typiques de Grand’Borne et de Roc des Gabelous sont encore portés par deux massifs pierreux au-dessus de la Prugne

* A remarquer ce nom des Agaux, que nous retrouvons à Beaupuy, au-dessus de Varennes-sur-Allier, sur un plateau aussi fort anciennement occupé.

Et puisque nous faisons une excursion en dehors du cadre que nous nous sommes fixé, nous citerons encore la vieille voie qui de Saint-Priest la Prugne gagne la hauteur des Agaux et de là se continue par les sommets dans la direction de Cusset sous le nom bizarre de chemin de la Ligue. Au milieu des Bois Bizin, ce chemin passe à une source, dite Font-Catholique, et de ces deux noms réunis, on pourrait déduire avec assez de vraisemblance qu’après la défaite des huguenots au bas de Cervières (V. Poncenat), et pendant leur retraite sur le Forez, ce fut par ce chemin de montagne que l’armée catholique gagna Vichy et les plaines de Cognat.

Il semble très probable aussi que cette ancienne voie devait se prolonger du côté de la Loire et passer non loin de l’antique chapelle de la Madeleine, au gué de la Chaux (la chaussée ?), où l’on trouve des débris d’armes et de ferraille dans un champ nommé Champ du Massacre : nous doutons fort, au contraire, de l’existence d’un château disparu de Chevriers au pont côté 1084.

Mais, pour tout cela, nous renvoyons aux ouvrages de M. le curé Bletterie et aussi à ceux que M. le docteur Noelas a spécialement consacrés à cette pittoresque région, et dont le style facile fait pardonner la part vraiment trop grande faite à la pure imagination.

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